UN REPAS AVEC LA PERSONNE DONT JE REVE
La nappe était si belle, que je n'osais y poser les mains, mes mains, là où il y avait
les siennes, si fines, si délicates,
pur reflet de son âme.
Sur la nappe il y avait deux bougies blanches, dont la flamme brillait, brillait
et faisait danser un très léger éclat tendre, oui, tendre, dans ses yeux qui me regardaient
attentivement.
J'étais arrivé en retard, et mon cœur s'était serré en voyant la table déjà occupée... Et
je voyais cette nuque belle et fière, un peu penchée, comme contrariée par l'attente. Je ne
pus m'empêcher d'y déposer un long baiser ― et un léger frémissement me fit comprendre que
j'étais toujours aimé et déjà pardonné.
Pendant le repas nous mangeâmes peu, attentifs l'un à l'autre et comme transportés sur un
voile où les contours et les mots s'estompent pour ne laisser affleurer qu'une
sensation pure d'infinie tendresse,
qui dilue toutes les autres.
Après son départ, je restai longtemps songeur, subjugué...
Non, jamais, jamais je ne pourrai oublier la douceur de mon père...