LE LIN JE CONNAIS SA DOUCEUR
Le lin, je connais sa douceur contre la peau
et quand au baquet il est trop empesé,
il gratte mes souvenirs
de cette enfance rêche dans un village où,
dès que la pluie rentrait ses nuages,
les terrasses et leurs fils tendus
se bariolaient des mille couleurs des habits défiant le vent.
Dans le panier de linge sale on entend l'océan qui s'en va
avec toutes les petites desquamations de la vie.
Une année où la solitude était ma seule compagne
je contemplais chaque jour
les tissus défraichis et monosexués
qui pendaient des barreaux du panier.
La souffrance du linge à ne pas revivre sa fraîcheur
n'avait d'égale que la mienne à ne pas pouvoir lui redonner sa rigueur.
Parfois l'étendage reprenait vie
et toute la maison se sentait mieux
comme portée par une senteur de muguet sur le fil d'un sourire.
Et puis, déguisée en reine fatale,
la machine cérébrale reprenait ses tourments
jusqu'au prochain débordement
en cascades noires, monticules bousculés
depuis le haut du panier jusqu'au pied de l'armoire
de la salle des bains hypothétiques.
Quoi qu'on dise, laver est un péché
qui se paie au prix de la vie.