Saint-John Perse, AMERS 6, p26-27,
Lecture par Jean Topart.
(Synchronisation text/audio: Jean-François Pique)
Et ce fut au couchant, dans les premiers frissons du soir encombré de viscères, quand sur les temples frettés d'or et dans les Colisées de vieille fonte ébréchés de lumière, l'esprit sacré s'éveille aux nids d'effraies, parmi l'animation soudaine de l'ample flore pariétale.
Et comme nous courions à la promesse de nos songes, sur un très haut versant de terre rouge chargé d'offrandes et d'aumaille, et comme nous foulions la terre rouge du sacrifice, parée de pampres et d'épices, comme un front de bélier sous les crépines d'or et sous les ganses, nous avons vu monter au loin cette autre face de nos songes : la chose sainte à son étiage, la Mer, étrange, là, et qui veillait sa veille d'Étrangère — inconciliable, et singulière, et à jamais inappariée — la Mer errante prise au piège de son aberration.
Élevant l'anse de nos bras à l'appui de notre « Aâh… », nous avons eu ce cri de l'homme à la limite de l'humain; nous avons eu, sur notre front, cette charge royale de l'offrande : toute la Mer fumante de nos vœux comme une cuve de fiel noir, comme un grand bac d'entrailles et d'abats aux cours pavées du Sacrificateur!
Nous avons eu, nous avons eu… Ah ! dites-le encore, était-ce bien ainsi?… Nous avons eu — et ce fut telle splendeur de fiels et de vins noirs! — la Mer plus haut que notre face, à hauteur de notre âme ; et dans sa crudité sans nom à hauteur de notre âme, toute sa dépouille à vif sur le tambour du ciel, comme aux grands murs d'argile désertés,
Sur quatre pieux de bois, tendue! une peau de buffle mise en croix.