Francis Ponge (1899-1988)

Notes prises pour un oiseau (fragment)

[...]

Je n'ai pas encore dit grand-chose de leur squelette. C'est quelque chose qui donne l'impression d'une grande légèreté et d'une extrême fragilité, avec une prédominance de l'abdomen et une disproportion marquée de ce squelette par rapport au volume de l'animal vivant. Ce n'est vraiment presque rien qu'une cage, qu'un très léger, très aérien châssis : le crâne rond, extrêmement petit avec une énorme cavité oculaire et un gros bec, le cou généralement long et ténu, les membres inférieurs insignifiants, le tout très facile à broyer, sans aucune résistance à une pression mécanique, protégé par très peu, et au maximum assez peu de chair, de chair d'ailleurs peu élastique ou amortissante. Le squelette des poissons est sans doute plus mince et plus fragile encore, mais incomparablement mieux protégé par la chair.

L'oiseau trouve son confort dans ses plumes. Il est comme un homme qui ne se séparerait pas de son édredon et de ses oreillers de plume, qui les emporterait sur son dos et pourrait à chaque instant s'y blottir. Tout cela d'ailleurs souvent fort pouilleux. À la réflexion, rien ne ressemble à un moineau comme un clochard, à une volière comme un camp de romanichels.

Francis Ponge

La rage de l'expression,
 ed. Gallimard