Léon Gabriel Gros

Sept poèmes en marge

SORTIE DES GRANDS MAGASINS
La fortune des carrefours
Rouait sous un bâton d'agent
Bâton de rouge ou de police
Pour l'offensive de l'amour.

Le beau rire des étrangleuses
Danse aux résilles de l'alcool
Sur des affiches lumineuses
Où les passants posent leurs coeurs.

De jeunes dents mordent et brisent
Les tiges vertes du désir
Et la nuit cueille des cerises
Dans le feuillage des taxis.

Le monde obscur comme une lèvre
En vain se farde chaque soir
Du feu navrant des porcelaines
Et de l'eau fraîche des miroirs.

Il y a ces fruits d'or et de cendre
Et cette femme aux doigts tremblants
Et cet aveugle et ces mâtures
Qui sont le nid même du vent.

Passe mon frère entre les hommes
Vêtu de sang comme l'éclair
Il mord ces lèvres et ces pommes
Aux branches torves de la mer.

Arbre de sel et de murmures
Dans une écume de sanglots
Il tient aux doigts ces pierres dures
Qui sont les chaînes des oiseaux.  
 
Léon Gabriel Gros,
Sept poèmes en marge,
Cahiers de Rochefort, 1942

Les poètes de l'école de Rochefort,
Anthologie par Jean Bouhier,Seghers