Benoît Conort

Pour une île à venir

Plus loin est souvenir

 
Plus loin est souvenir, femme venue du fond du puits
...
Aube, comme frémissent au loin les doigts de feuillage
Du soleil qui se lève.
 
L'enfant rêvait le cœur du monde
Cœur fade de la fleur
Aux fossés l'ortie et sa veine douceâtre venait battre le vent

Un enfant se défait dans le rêve des jours
Son rire étincelle sur la pierre noire des villes
De vous à moi son regard n'est qu'un fil
Entre la terre et les étoiles, somnambule léger, le lien ténu du monde.

Enfances

 
Hauteurs glaciales, haleines, à la bouche des monts solitaires.
On entendit un roc se briser en une note aiguë. Elle
tint longtemps dans le silence, reprenant, inlassable, les
rêves les plus anciens de l'homme enfin immobile, enraciné
à ce qui l'étreint et le possède, ne le transporte pas, l'implante.
Pan de neige basculant sur la pente, glissant, 
tonnerre blanc, chute d'un son terrible et meurtrier.
Bonheur qui le saisit et qu'il charrie en son sang.
Arbres culbutés, maisons emportées, corps meurtri, défait
et recomposé. Le chant renaît du cri, éclate, désir trop
longtemps asservi. Les digues abattues ont fait jaillir leur 
flot sur la lande.
Hauteurs glaciales, haleines, à la bouche des morts,
le son rauque d'un aigle éveille le soleil.
Ici j'apprends l'humilité
Le soir un papillon se confie à la pierre, replie ses
ailes
Et frémit doucement de tout son âge ancien.

L'envers du visage

 
Un oiseau vert vole dans l'arbre,
Son chant est de nervures secrètes, de fugitives dents;
Son chant plein-vent de feuille en feuille saute ainsi
qu'une joie bondissante.
Son souvenir
A gorge ouverte s'épand dans la nuit.
Son corps à peine chiffonné roule sous l'impact au
flanc de notre coeur :
« Ce que je suis ne dure qu'une flamme
Brisée auprès d'un mur; à peine l'attente, à peine
l'odeur, à peine si la lueur perçue
Commence l'ignorance. »
 
Moi qui l'ai saisie, je l'avouais soleil au sol coagulé,
	...
De leur violence précieuse. Grilles puissantes qui
creusaient, en s'enfonçant, d'infimes éruptions dans la peau
de la terre.

Ile, un coprs d'entre les pierres

 
Elle, visage d'aube en arbre nu, image dénouée,
S'invente parmi les mots un corps léger,
Un corps d'entre les pierres, enveloppé de linges blancs.
Elle avance, elle renonce à l'écorce, l'épaisse peau pelure.
La voix à l'abandon, en friche à tout jamais,

Ne se retourne pas, ne se retournera plus.
 
Benoît Conort,
Pour une île à venir, Le Chemin,
nrf, Gallimard,