PAROLES A ROBERT BASTIEN, NAVIGATEUR
VERSE-MOI le poison vert
Comme la mer océane;
Nous parlerons des tartanes,
Puisque ton cœur est amer.
Pourquoi t'ai-je rencontré ?
Tu réveilles ma souffrance,
Un grand trois-mâts se balance,
Pourquoi donc m'as tu parlé
Du voilier Molière de Nantes ?
*
Il faisait, tu me l'as dit,
La côte de l'Atlantique
Et les Iles Britanniques
Jusqu'à Lisbonne ou Cardiff.
Il était peint tout de blanc,
Quoique Nantes soit très sale,
Et sur les cartes postales
On le gardait tendrement,
Tout le long de ses escales.
*
Un exil au moins étrange
A mélangé nos destins;
Le regret des jours marins
Nous fait l'âme triste ensemble.
L'hiver nous guette à la porte
Nous sépare de chez nous;
Dans le bassin de radoub
Est une carcasse morte.
Le vent gèle mes genoux.
*
J'ai mal au cœur d'être loin
Nous sommes seuls sur la terre;
Pourquoi la propriétaire
Fait-elle le feu sans soin ?
Bastien, parle-moi du temps
Chaleureux, où, vers d'autres îles,
Vous pressentiez à plusieurs milles
L'odeur douce de Ceylan.
Nous sommes toujours des enfants.
*
Et ce bouge de Péra
— Alcools, nostalgie, bataille —
Parle, il n'y a rien qui vaille
La souffrance que j'ai là.
Tu racontes sans savoir,
Tu ne penses qu'à toi-même,
Indifférence que j'aime,
Souvenirs rouges et noirs,
Parle-moi des mers Indiennes.