Lionel Bourg

L'étroite blessure du silence

Et cela, soudain : une éternité sans amour, un interminable
coup de rasoir.

Ou cette main pourtant, cette si simple main, le sillage
qui devance l'étrave des caresses, ou l'entrée de la nuit
par son évidente blessure.

	...

Qu'astres noirs
engloutis, demeurent ;
yeux béants du cadavre,
ici, lorsque nulle paix
n'abreuve.
Ou larmes embrasées
dans des novae de viande.

	...

Le cri - oiseau
tribal échoué
dans l'insane poussière.
Des forêts incendiées,
des châteaux, des hivers,
ou des mines de sang
à ciel ouvert.

	...

Ecrire, maintenant : un suspens. La suspension, 
la naissance du temps, l'instant fragile où cela
tremble, au-dessus du gouffre, la fraction de se-
conde qui précède la chute et ne s'accomplit pas.
Cette pureté fatale, un instant où écrire revient à
rendre plus frémissants cette approche dérobée, 
ce recel dans le déjà là de la subjectivité. Et ce
que l'on ne saisit ou n'étreint jamais. L'absence
d'un pays où l'on résiderait, cette nuit cependant
où l'on revient hanter sa dépouille de mots, ruiner
son texte, le lieu et le moment toujours de sa
disparition.
 
Lionel Bourg,
L'étroite blessure du silence,
Jacques Bremond, 1988,