De tes cheveux chauds sous ma main Je fais le compte exact, j'offre le juste prix. Un poids d'huile et d'or roux ruisselle au fond de l'ombre Il n'y a pas de feu plus fier que ce brasier né de ta tête Pas de torrent plus fort que la cascade convoitant tes reins. Je pense aux cressons fous du sang, aux étangs nus de la patience Une fleur aux millions de fils éclaire la nuit d'une averse - Rappelle-toi que je t'attends au rendez-vous de tes épaules.
On va de l'amour à l'amour par un gué. Toi, descendue des hauts plateaux, des repaires rocheux du songe ... Tu sentiras la joie de l'aube couler aux pointes de tes seins.
Equilibrée par le bonheur La colline oubliait de verser dans l'automne; Les arbres demeuraient vivants. Un poids de sève et de fumées Répondait à la courbe heureuse de tes hanches Tes yeux de petite aube verte attendaient la nuit des étangs. Un monde juste s'arrêtait Bloquait l'instant contre nos lèvres; La terre où creusait notre joie Eclairait tes seins réunis.
Je tiens la nuit contre ma bouche D'un souffle si léger, si pur Qu'il entretient le feu des pierres. Un geste pourrait dévaster Les jardins en pente du jour, Le plus court hasard nous tuerait En ce territoire incertain. Je reste en vie si loin de toi Mon absente, ma déferlante Parce qu'aux confins fous du sang Luit le pavot bleu du plaisir.
Tu marches sans mourir A l'angle des paroles ... Tu creuses dans ma vie Jusqu'à toucher l'eau, l'herbe La grille âpre d'un cri.
Ton absence ouvre en moi la plaie douce des rêves Je ne la savais plus cette chaîne à mon cou Tes bras, tes deux bras nus, tonnent moins que tes lèvres Mon corps attend ton corps comme la mer en Août. L'automne et ses forêts cessent d'aimer le monde Lorsque tu n'es plus là, mon ombreuse, mon faon; La rouille des soirs roux, des pommes et des rondes M'est une lampe ôtée, saccagée par le vent. Je suis l'enfant perdu des ponts, des passerelles Un vieil orphelin fou, ingrat, tremblant d'effroi; Ma femme, mon sureau, mon figuier, mon airelle Ma bouche mâche un miel quand je t'invente en moi.
C'était un temps de glace et d'oripeaux Un temps comme on n'en fait plus guère Avec du fer sur les rivières Et des fleuves sous les couteaux. Un feu s'est roulé dans la neige Quand tu vins à moi sage et nue; On vit se coucher la forêt Sous la buée de ton haleine Et le silence des fontaines Avait un soleil dans les veines Quand ta bouche, en moi, s'est rompue.
Cet océan qui frappe au front Creusant mes rochers et mes pierres Cet océan cimente un nom Dans la hurle du vent d'hiver. La tempête s'irrite en moi Roule du ciel et des morsures Mêle tes cheveux à ma voix Ta jeunesse à mes meurtrissures. J'attends le chant terrible et fort Qui jaillit, souple, de la mer Quand tes reins nus comme la pierre, M'assignent à la nuit des lierres Me délimitent mes frontières Ma bordure d'eau, ma lumière Pendant que l'hiver creuse et mord.
Feux de mai, à l'odeur de suie Quand il vente sur les vergers Et que les fleurs de pêchers plient Sous les pluies montées de la mer. La terre est cousue de vertiges Tes longs cheveux ourlent mes lèvres; Je pense aux pays secs, sans arbres ni saisons A des chevaux hagards piétinant le sol fou. Tu ruisselles tout contre moi Mon averse de chair, ma vallée d'herbe drue La flamme oblongue des lilas Eclaire ton flanc nu sur un monde livré aux sources.
Cet appétit de toi qui, tout à coup, m'étreint Cette soif, ce feu clair, cette joie, ce jardin Cette brûlure au flanc, si hyène, si profonde Ce clou foré dans moi, loin que je m'en morfonde Je les veux, je les crois, j'en exige les dents Je prie pour que s'irrite en moi cet océan J'affile le couteau, j'accomplis la blessure Ma fièvre est la raison qui, seule, me rassure J'attends tes deux genoux, ta gerbe, ta forêt Je suis un gibier fou lancé vers son terrier Le soleil ne luit plus que pour toi, sur ta face Rien ne m'est plus de rien qui, par toi, ne s'efface.
La forêt déhanchée brasse son bruit d'eau folle. Une équinoxe jaune, avant l'hiver carré Fait répéter au vent sa leçon de patience. La plainte dans le bois des portes me déchire Car je sais que je suis derrière, à cet instant Barré devant moi-même où je ne puis entrer. Il y a cet hiver en moi qui voudrait naître Il y a cet été qui ne sait pas mourir Et, toujours, ce long vent battant - comme une tôle. Je vais aller couper du bois dans le bûcher En évitant la femme qui lave aux cuisines : - La femme, un dieu féroce, et nu, dans son espace.
Or, j'aime à remonter vers le nord, à l'automne Sous le triangle aigu des oies criant la neige : Le ciel s'écaille et noie la terre, les tourbières Les feux et les forêts confondent leurs brouillards Une première lampe épelle les cantons On devine, au ressac des maisons englouties Le madrépore ardent du jour humble et perdu.
Luc Bérimont, Un feu vivant, éditions Flammarion - coll. Poésie, 1968